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«1. PUISSANCE DE L'EAU

 

Au commencement était le souffle.

Le souffle puissant du vent salé.

Il faisait glisser les voiliers sur les océans infinis.

Et de tous les navires, le plus rapide était sans aucun doute celui d'Élisabeth Malory.

La jeune femme au regard turquoise s'était octroyé une réputation de championne en remportant deux fois de suite le tour du monde à la voile en solitaire, une épreuve jusque-là monopolisée par ses collègues masculins.

Seule à l'avant de son catamaran baptisé le Poisson volant elle serrait le gouvernail de bois qui dirigeait la longue structure effilée en aluminium et fibre de résine.

Tout vibrait dans son fin vaisseau qui filait, fendant l'écume ou se soulevant tel un exocet au ras des flots.

Plus vite, plus fort.

Caressée par la puissance des embruns chargés d'iode, elle chantait faux dans la tempête à s'en rayer la voix. C'était son secret pour gagner : mêler sa voix au vent, pour se concilier les éléments déchaînés.

Elle avait ainsi l'impression de devenir elle-même la mer : de l'eau salée mobile, filant de vague coupante en dentelle d'écume.

Élisabeth Malory était belle.

Tous les hommes étaient par elle ensorcelés et on prétendait qu'entre deux régates elle multipliait les amants. Puis, comme lassée de ces plaisirs dérisoires, il lui fallait se retrouver seule, au milieu des désert liquides, avec pour uniques compagnons les nuages et les poissons complices.

 

 

2.DOUCEURS DE L'AIR

 

Au commencement était le rêve.

Le rêve d'horizons nouveaux.

Il stimulait l'imagination ethérée d'Yves Kramer.

Chef du département « Innovation et Prospective » de la prestigieuse Agence spatiale, c'était lui qui était chargé de sélectionner les nouveaux projets liés aux voyages dans l'espace. Il n'avait pour l'instant jamais pu en mener un seul à bien, mais dans son bureau s'amoncelaient les dossiers remplis de schémas de nouvelles fusées, de stations orbitales ou même de cités à construire sur les planètes les plus proches. Yves Kramer ne se distinguait pas des multiples tâcherons qui traînaient dans les laboratoires d'aéronautique. De taille moyenne, il avait le cheveu rare, et chaussait des lunettes épaisses, devant son regard perdu au loin.

Cet ingénieur ne quittait jamais sa blouse blanche aux poches pleines de stylos à l'encre sèche et de calculatrices plus ou moins en panne.

Son métier consistait surtout à envoyer des lettres de refus polies qui commençaient invariablement par : « Merci de nous avoir soumis votre projet, malheureusement il ne correspond à aucun de nos programmes actuels et les crédits alloués à notre service ne nous autorisent pas à donner suite à votre proposition. » Pour se terminer par : « Veuillez agréer nos sentiments les plus respectueux. Tenez-nous au courant de l'évolution de vos recherches. »

Yves Kramer prenait son métier à coeur. Il lisait consciencieusement jusqu'au bout la plupart des projets, même les plus irréalistes. Du coup, il était devenu l'interlocuteur attitré des journalistes auxquels il confiait les scénarios les scénarios les plus originaux qu'il avait reçus.

Il renversa par mégarde la pile des lettres de refus et se mit à les ramasser une par une. A ce moment le téléphone sonna et, en essayant de l'attraper avant que le répondeur ne se mette en marche, il fit chuter une autre pile qu'il se mit en devoir de ramasser et de trier.

On le disait étourdi, il se disait rêveur.

On le disait maladroit, il se disait  dispersé.

On le disait distraity, il se disait absorbé par des réflexions exotiques.

Yves Kramer savait qu'il n'existait pas de subventions permettant de réaliser un seul des projets qu'il soumettait à sa hiérarchie. Cependant il ne désespérait pas un jour d'en porter un à bout de bras. Il ne voulait pas rester comme le lui avait dit un jour sa première femme : « un simple observateur racontant aux journalistes les fantasmes des autres et qui ne se réaliseront jamais ».

La nuit, le regard rivé à l'oeilleton de caoutchouc de son télescope personnel installé sur sa terrasse, enveloppé dans une couverture, il lui arrivait d'imaginer qu'un jour l'un de ses projets aboutirait.

Alors il partirait là-bas.

Loin devant.

Plus loin, toujours plus loin.

Il quitterait cette Terre où il se sentait chaque jour plus étranger.

Le Papillon des Etoiles

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