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Le chant du Troll

« Deux assiettes, deux verres, les couverts, un saladier et son contenus, une carafe d’eau, sel, poivre…

Le bruit qu’ils firent en s’écrasant sur le carrelage fut assourdissant.

Le silence qui s’en suivit le fut davantage encore.

Tous les vacarmes du monde habitent le silence, tous les hurlements, tous les fracas. Les enfants le savent. Comme les adultes qui écoutent vraiment. Les vieux la plupart du temps.

Ce silence-là, avide et contracté, effrayant, fut rompu par un cri.

- J’en ai assez !

Comment un simple cri, quatre mots, pouvait-il contenir autant de colère, de désespoir et de violence ?

Léna se pétrifia.

Tenta de disparaître dans le tapis bleu sur lequel elle était couchée, échoua, ferma les yeux pour se donner l’illusion qu’elle avait réussi, plaqua les mains sur ses oreilles…

Ne parvint pas à ne pas entendre.

- J’en ai assez !

La voix de sa mère se tendit alors qu’elle aurait dû se briser. Rien ne peut se tendre à l’infini. Tout finit par se briser.

- J’en ai assez, tu comprends  Assez de vivre avec un homme qui passe ses jours et ses nuits assis devant un ordinateur. Assez de quémander un regard, une parole, un geste que tu ne m’accordes jamais. Assez de me sacrifier pour ton envie de création, tes velléités d’écriture et ton ramassis de médiocrités que tu nommes ton roman.

Léna abandonna ses oreilles pour caresser la fidèle douceur du tapis. Elle ouvrit les yeux. En risqua un en direction de son père.

Assis à son bureau, il avait tourné la tête lorsque sa femme avait balayé la table d’un revers de bras. Son visage reflétait un mélange de surprise et d’incompréhension teinté d’une pointe d’agacement.

- Qu’est-ce que…

- J’en ai assez, le coupa-t-elle. Assez de jouer à la femme invisible. Assez de devoir mettre la vaisselle en pièces pour attirer ton attention, assez de devoir hurler pour pénétrer durant quelques secondes dans ton monde. Tu ne crois pas que j’ai assez perdu ? Tu m’imagine assez solide pour encaisser… ça ?

Léna vit les mâchoires de son père se serrer.

Elle se força à souffler.

Doucement.

Longuement.

Pour ouvrir la voie à la comptine.

Celle qui, depuis toujours, avait gommé ses soucis, soigné ses blessures, éclairé son univers. Â»

comme elle sont imagés :)

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