
L'Autre
La Huitième Porte
« La nuit était moins ombre que ne l’avait crain Elio.
Les épaisses frondaisons des itahubas masquaient le ciel, mais il avait cessé de pleuvoir, les nuages s’étaient dissipés et la clarté de la pleine lune parvenait jusqu’au sol sous la forme de fins rayons et de pâles halos, suffisants pour se repérer.
Un sentier s’éloignait en serpentant entre les arbres. Vers le village, espérait Elio.
Les sens aux aguets, il s’y risqua.
[…]
Il repéra les hommes avant qu’ils aient la moindre chance de l’apercevoir. Ils était quatre et avançaient en direction de la hutte qu’ils venaient de quitter. Ils devaient connaître les lieux car ils n’avaient pas jugé utile de s’équiper d’une lampe.
Elio n’hésita qu’une fraction de seconde. Sans la moindre illusion sur l’identité des inconnus ou sur le sort qu’ils lui réserveraient s’ils s’empareraient de lui, il quitta le sentier.
Il se tapit derrière un épais buisson dont les feuilles larges et gorgées d’eau constituaient une parfaite cachette et ne bougea plus.
Il réfléchit un bref instant. La hutte n’était pas loin. Ses ravisseurs constateraient vite son évasion et, se doutant qu’il avait suivi le sentier, rebrousseraient chemin pour le prendre en chasse. Etait-il capable de les distancer ?
Un sourire confiant éclaira son visage et il se leva.
Non. Faillit se lever.
Le bruit d’une respiration s’élevait juste à côté de lui. Sourde et puissante à la fois.
Figé par l’appréhension, Elio pivota lentement.
Deux yeux verts luminescents étaient fixés sur lui. Une tête carrée aux mâchoires redoutables, un poitrail large, des muscles d’acier sous une douce fourrure ocellée, une anatomie fine et parfaite de prédateur ultime…
Jaguar.
Avant qu’Elio ait esquissé un mouvement, il fut happé par le regard émeraude comme par un prodigieux maelström.
Certain que ni lui ni le félin n’avaient bougé, il eut pourtant l’impression qu’ils bondissaient l’un vers l’autre…
Leurs âmes se percutèrent.
Elio laissa échapper un gémissement sourd, étreint par une émotion au-delà de la peur. Son corps devint lave, sentiments et sensations bouillonnèrent en lui, se fondant pour créer une stupéfiante alchimie. Douloureuse. Neuve.
« Qui es-tu ? »
Les mots avaient retentis dans son esprit, sans qu’il sache avec certitude qui les avait proférés. Le jaguar ? Le jaguar !
« Qui es-tu ? »
La question était un ordre.
Le jaguar. Ses yeux. Pareils à deux miroirs qui le questionnaient, lui ouvrant une voie tracée pour lui depuis une éternité.
- Je… je suis Elio.
« Tu es bien plus que ça. Qui es-tu ? »
- Je… je ne sais pas.
« Alors apprends. » »
